15 mars 2017 – Décès du Frère Constant de Wenckstern

Le Frère Constant de Wenckstern est décédé ce 15 mars 2017. Notre plus beau témoignage aujourd’hui, c’est de publier ci-dessous de larges extraits du texte que M. Maurice Havard, directeur de l’école à cette époque, avait rédigé dans la revue de l’Institut lorsque le Frère Constant prit sa pension en juin 1994.
A noter que durant sa longue retraite – et jusqu’en 2016 ! – le Frère Constant a continué à rendre de multiples services en tous genres.

FRÈRE CONSTANT DE WENCKSTERN

La fin d’une année scolaire marque souvent le départ à la retraite de l’un ou l’autre membre du personnel. Cette année, c’est au tour du Frère Constant de Wenckstern d’atteindre l’âge fatidique. En juin dernier (Ndlr.- juin 1994), il a donc quitté le service actif au sein de l’Institut.
Peu d’élèves connaissent le Frère Constant. Pour les anciens de 1976 à 1980, il fut le Frère Préfet chargé des problèmes de discipline. Les élèves actuels ne le connaissent probablement pas du tout. Il a en effet terminé sa carrière comme économe et comme tel a eu peu de contacts avec les chères petites têtes blondes ou bouclées. La remarque est valable pour les jeunes professeurs qui ne fréquentent qu’épisodiquement le personnel administratif.

Mieux vaut tard que jamais. Sa fin de carrière professionnelle nous donne l’occasion de le faire connaître et surtout de le remercier pour tout ce qu’il a accompli au sein de la maison.

Né à Leuven le 11 juillet 1929, le Frère Constant est le frère du Frère Henry de Wenckstern qui fut directeur de 1967 à 1980. Après des études à l’école normale de Louvain, il devient instituteur et enseigne pendant quelques années. Il reprend ensuite des études d’ingénieur à Mons et part au Zaïre pendant une quinzaine d’années où il dirige une école technique à Gombé-Matadi.

C’est en 1975 qu’il rejoint la Communauté de Saint-Michel à Verviers.

Je l’ai donc fréquenté pendant près de vingt ans. Au moment d’écrire ces lignes, je constate que cette double décennie ne me suffit malheureusement pas pour être capable, aujourd’hui qu’il nous quitte, de dresser du Frère Constant un portrait détaillé et fidèle.
La difficulté de faire mémoire d’un être avec lequel vous avez travaillé pendant tant d’années peut paraître paradoxale Elle vient simplement du fait que le Frère Constant est un homme peu expansif et très réservé. Sa boîte noire révèlera peut-­être un jour ses secrets En attendant, j’en suis réduit à vous esquisser deux portraits. Celui du photographe de presse qui doit faire la une du prochain qu’en dira-t-on et celui de l’artiste qui cherche, avec sa sensibilité et son cœur, les couleurs à étaler sur la toile.

Premier portrait

Les lecteurs ne seront pas effarouchés pas les hypothèses farfelues énoncées dans le premier portrait. Elles grossissent trop fort quelques traits de la person­nalité. Humour et tendresse atténueront leurs outrances.

Le Frère Constant est un pur esprit: il ne cause pas, il ne fume pas, il ne drague pas, il ne boit pas, il ne rit pas, il ne pleure pas, il ne se plaint pas, il ne bégaye pas, il ne rougit pas, il ne se fâche pas, il ne chante pas. Mange-t-il, pense-t-il, dort-il? Une seule certitude: il existe car je l’ai rencontré.

Avec un tel profil, il est évidemment difficile de cerner le caractère du personnage. Il offre peu de prise à une analyse psychologique un peu sérieuse. Cependant, en observant attentivement, une faille apparaît dans ce bloc monolithique. Une lumière éclaire ce mystère qui hante l’Institut.
Le Frère Constant est un être pétri d’ambition démesurée. Durant toute sa vie, il a tout fait pour occuper le devant de la scène, pour être le plus fort, le premier. Alors qu’il aurait pu merveilleusement se réaliser, comme tant d’autres Frères avant lui, dans une carrière d’enseignant, il a voulu gravir l’échelle de la renommée et de la gloire. Et il y est parvenu.

Cette hypothèse peut paraître audacieuse mais comment expliquer autrement sa fulgurante ascension? Le lecteur jugera par lui-même.

A peine né, il devient directeur. Certes, « aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années », mais une telle promotion, si rapidement acquise, à une époque où l’on ne choisissait pas le premier venu, ne peut s’expliquer que par un appétit précoce de pouvoir.
Après avoir savouré les joies immenses que procure cette fonction, il est attiré par un domaine plus temporel: l’argent. Pressentant certainement que le nouveau millénaire serait économique, il veut goûter à ce nouveau pouvoir et, comme par enchantement, il devient économe d’une école de commerce.

Une fois en place, il intrigue au sein des délégations syndicales et des instances paritaires pour se faire élire responsable du CSHE (Commission de sécurité, d’hygiène et d’embellissement). En même temps, il fonde et met sous sa coupe le puissant groupe informatique CRIV (Club régional d’informatique verviétois) qui a son siège dans le building du 25, rue du Gymnase.
Et ce n’est que la partie visible de l’iceberg. (…)
Cette ascension irrésistible a été perceptible au niveau des bureaux qu’il a succes­sivement occupés durant son séjour à l’Institut Saint-Michel. On peut le dire: il a commencé très bas. A son arrivée, il a occupé le petit local situé au niveau de la cour de récréation, et que l’on appelle pompeusement aujourd’hui l’antenne administrative. A cette époque ce n’était qu’un petit local, sans air, sans lumière, froid l’hiver et, en toutes saisons, humide et ouvert à tous les vents. Il y a rongé son frein quelques années, en potassant la langue espagnole avec l’aumônier de cette communauté.

Puis ce fut le grand bond! A la lumière d’une restructuration des services et de l’accouchement de l’informatique, il est propulsé au deuxième étage (en F202) Ancienne arrière-cuisine de la Communauté des Frères aménagée en petite classe, ce nouveau local a le grand avantage d’être isolé et protégé des mouve­ments de foule incessants qui caractérisent la vie quotidienne d’une école. Il n’est accessible qu’à quelques initiés parmi lesquels une dame de la grande bour­geoisie, Dame Micheline de la Procure (Ndlr. – Mme Micheline Delforge, responsable de la Procure durant de nombreuses années). Celle-ci, qui tient toujours une boutique haut de gamme au rez-de-chaussée, partage avec le Frère Constant la nouvelle passion à la mode de l’informatique. Nous savons aujourd’hui que la gestion de l’école est aux mains de ces mystérieux petits écrans cathodiques et de ceux et celles qui parviennent à les apprivoiser. Le Frère Constant est naturellement de ceux-là.
Mais il a d’autres cordes à son arc. Ingénieur de formation, il participe activement à la construction de la nouvelle aile de l’Institut en soignant particulièrement l’aména­gement de l’immeuble situé au 26, place du Martyr. Les projets se réalisent selon ses prévisions et il peut enfin emménager dans un double bureau à quatre fenêtres avec vue imprenable sur la place du Martyr, la bien nommée.
Ultime raffinement et une réalisation probablement unique dans la région, ce local comporte deux portes d’accès dont une pour son usage personnel. Sa situation est par ailleurs hautement symbolique: ce palais est situé exactement au-dessus des bureaux de la direction de l’Institut.
Le Frère Constant est enfin arrivé au faîte de son ascension. C’est dans cette suite royale qu’il termine sa carrière. Il y trône au milieu de toutes les drôles de machines qui lui donnent un pouvoir sans partage. Avec leur complicité infaillible, il est capable de faire la pluie et le beau temps dans toutes les classes ou d’éditer les bulletins des élèves. C’est encore lui qui perçoit l’impôt en envoyant, chaque trimestre, les factures à tous ses sujets. Ces pouvoirs absolus lui valent de tous le respect envieux et craintif.

Deuxième portrait

Le Frère Constant n’appréciera pas les lignes qui suivent. Au risque de heurter sa pudeur légendaire, et comme le chante Patrick Bruel, « je le dis quand même ». Compter le Frère Constant dans les membres de son personnel est une béné­diction. Son intelligence et son pragmatisme lui donnent une efficacité inégalée si vous respectez deux règles simples: le faire voguer vers les horizons qu’il préfère et le laisser seul maître à bord de son voilier.
Cette double condition remplie, vous pouvez lever l’ancre et hisser les voiles. Si vous craignez la tempête, vous pouvez même rester sur l’embarcadère car il ne dédaigne pas les traversées en solitaire.
Comme je n’aime pas particulièrement la mer, le Frère Constant a pu voyager à sa guise. Et il n’a jamais fait naufrage. Au contraire, sous son impulsion, l’organisation de l’Institut s’est modernisée.
Très tôt, l’école a été dotée de l’outil informatique. Tous les élèves et les membres du personnel ont été introduits dans des fichiers. Les bulletins ont été informa­tisés. Le Frère Constant a créé tous les programmes permettant l’organisation de la rentrée scolaire. Il a ainsi facilité le travail de conception de l’horaire des cours et a permis l’édition des prestations individuelles de chacun dès le premier jour de la rentrée. Il passe des journées entières à dompter les logiciels de gestion adminis­trative. Il y décèle fréquemment des erreurs qu’il fait corriger par l’administration. Sa compétence est reconnue et utilisée dans les écoles voisines.
Sa formation d’ingénieur lui permet de comprendre et de résoudre des problèmes plus techniques. Pour lui, les systèmes d’aération ou de chauffage sont des jouets d’enfants. Il jongle avec les vannes et les sondes. Chaque radiateur obéit aux ordres de son clavier d’ordinateur. A la piscine, il introduit et contrôle un système automatique de gestion de la qualité de l’eau.

Mais le Frère Constant est aussi un travailleur de l’ombre. Après les heures de cours, il répare le mobilier maltraité; il construit des étagères ou des armoires, il conçoit des tables roulantes pour le service de vente de gaufres, il rationalise les circuits de distributions d’eau et d’électricité, il range les caves. Et il répond encore à toutes les demandes extérieures de service d’où qu’elles viennent.

L’homme n’est pas d’une nature exubérante. Il ne s’extériorise pas beaucoup. Il n’est pas mondain mais il s’intéresse au monde. Son don inné des langues lui permet de comprendre, de parler et de traduire aussi bien le néerlandais que l’anglais, l’italien ou l’espagnol.
Ouvert à tout ce qui l’entoure, il donne l’impression de n’avoir besoin de rien et de se contenter de très peu. Ce qui ne l’empêche pas de vivre intensément chaque instant de sa vie. C’est peut-être cela l’esprit de pauvreté.

Si l’école lui doit beaucoup sur le plan de l’organisation administrative et de la gestion matérielle, sa façon d’être m’a souvent interpellé et édifié. Et je voudrais l’en remercier.

Merci pour sa simplicité. Sous une apparence froide et distante, il est toujours à l’écoute. Rationnel et logique, il ne demande pas de grandes phrases pour com­prendre. Pour le convaincre, il ne faut pas user d’artifices. Son oui est oui, son non est non.

Merci pour son sens de la réserve et son respect des autres. Je ne l’ai jamais entendu critiquer une personne, ni remettre en question des dispositions prises, même celles qui ne l’agréaient pas.

Merci pour sa disponibilité. Quelle que soit l’heure et le moment, je n’ai jamais fait en vain appel à ses services. Surveiller à ma place l’impression de bulletins au milieu de la nuit lui paraissait aller de soi.
Merci pour son aide patiente et quotidienne dans nos difficultés à maîtriser nos ordinateurs.
Merci pour son sens de l’accueil et les bières qui ont désaltéré les longues soirées de travail.
Merci pour sa capacité de relativiser certains problèmes administratifs. Merci pour son égalité d’humeur et sa sérénité de tous les jours. Merci pour sa présence discrète mais efficace et rassurante.
Merci de m’avoir donné, chaque jour, le témoignage d’une vie consacrée, d’une vie d’intériorité au service des autres.

Au nom de tous, je lui souhaite de profiter durant de longues années de son nouveau statut de retraité.

Maurice HAVARD
Directeur de 1980 à 1997