2004 – L’A.C.A.T. Saint-Michel est née !

La torture est aujourd’hui encore une réalité accablante dans de très nombreux pays.  Certains gouvernements n’hésitent pas à l’appliquer comme une méthode dite « normale » pour garantir la sécurité, la stabilité et l’intérêt de la nation.  Les démocraties elles-mêmes, malgré leur Etat de droit, ne sont jamais véritablement à l’abri de résurgence de ces pratiques ou de dérapages isolés. Là est le constat théorique.  Car la torture, c’est aussi et d’abord le cri de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, qui hurlent du fond d’un sombre cachot leur douleur et leur désespoir face à des bourreaux, très souvent fonctionnarisés, à la cruauté raffinée et sans limite.

Ce cri, on peut bien-sûr se boucher les oreilles ou augmenter le son de sa chaîne hi-fi pour ne pas l’entendre. C’est hypocrite, indécent, mais tellement confortable !  Dans notre école une quinzaine d’étudiants, de 4e et 5e années, ont voulu l’entendre et l’écouter, jusqu’au bout.  Et puis agir, avec les modestes moyens qui sont les nôtres. Parce qu’il y va de l’homme, de son intégrité et de sa dignité.

Afin de mener ce combat lucidement, avec efficacité, je leur ai proposé de rejoindre une association, forte et  structurée, qui depuis près de 30 ans œuvre de par le monde pour délivrer de leurs tourments les victimes de la torture.  L’A.C.A.T. – Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture –  a été créée en France en 1974, et a essaimé depuis dans de nombreux pays dont la Belgique.  Elle réunit des chrétiens de différentes confessions pour qui l’enseignement de l’Evangile est incompatible avec la torture ou son acceptation passive.  Toutes ses interventions en faveur des personnes détenues arbitrairement ou soumises à des traitements dégradants et humiliants sont fondées sur des informations fiables qui proviennent  le plus souvent des organisations de défense des droits de l’homme, des Eglises locales ou encore de témoignages directs et vérifiés.

L’action de l’antenne créée à l’Institut s’articulera autour des 3 piliers traditionnels  de l’A.C.A.T. D’abord la sensibilisation.  Parce qu’il faut sortir de l’ombre ou de la banalisation l’horreur de la torture, en la dénonçant mais aussi en proposant une réflexion et des repères qui visent à comprendre ses causes et sa finalité, son mode de fonctionnement, les systèmes dans lesquelles elles trouvent place.

Ensuite, l’action proprement dite.  En devenant membre de l’équipe A.C.A.T., chaque étudiant s’engage chaque année à envoyer, à ses frais, un minimum de 3 lettres aux gouvernements et ambassades des pays où des cas de torture nous ont été communiqués.  Des modèles de lettres ainsi qu’un exposé clair et complet de la situation pour laquelle il faut agir, souvent dans l’urgence, sont fournis chaque mois par l’A.C.A.T.  Des bilans relatifs à nos interventions sont publiés régulièrement dans la revue trimestrielle et permettent de vérifier les fruits du combat mené.  Comme toujours en pareil cas, on peut regretter le verre à moitié vide ou se réjouir du verre à moitié rempli.  Mais les pays où sévit la torture sont souvent soucieux de leur image auprès de l’opinion publique des pays européens.  A long terme donc, notre action est rarement inefficace.  A côté de l’envoi de lettres, les étudiants sont aussi appelés à participer à la signature et à la diffusion de pétitions en collaboration avec d’autres associations comme Amnesty International.

Enfin, le dernier pilier : la solidarité spirituelle avec les victimes.  On touche ici à la dimension spécifique de l’A.C.A.T.  Il est important de dire à tous les torturés, dont l’épreuve la plus difficile, selon beaucoup d’entre eux, réside dans le désespoir né du sentiment qu’ils ne comptent et n’existent plus pour personne, que des hommes et des femmes pensent encore à eux, méditent et prient pour eux.  On rejoint ici le mystère de la communion d’amour, telle que décrite et vécue dans la Bible, reprise sans discontinuité par toute la Tradition de l’Eglise et présente dans de nombreuses religions et confessions, même si elle est célébrée autrement et avec d’autres mots.  L’athée le plus convaincu ne peut ignorer cette dimension.  Car le mystère de l’amour, qui tisse des liens invisibles mais tellement puissants, appartient à tout homme, religieux ou non. Et celui qui en  rirait ou qui s’y voudrait indifférent serait, somme toute, malheureux, puisqu’il n’en aurait jamais fait l’expérience.  Au croyant, qui connaît et nomme la source de cet amour, il sera même demandé de prier pour la conversion des bourreaux, parce qu’il sait précisément que l’amour est infini, tout-puissant et que rien ne lui résiste.

Ces trois piliers, qui doivent guider le travail des membres de l’antenne, sont aussi ceux qui orienteront les activités appelées à déborder sur l’ensemble de l’école, voire même à l’extérieur.  En témoigne la célébration de Carême de cette année au cours de laquelle nous avons sensibilisé plus de 450 étudiants, tout en les invitant à partager un moment intense de méditation et de prière, à la lumière de bougies disposées devant des barbelés.  L’action, bien entendu, suivra.

Je terminerai cette brève présentation en soulignant combien un tel projet constitue une richesse incomparable pour la vie de l’école.  La création d’une antenne A.C.A.T. à l’Institut s’inscrit dans son projet éducatif et actualise la spécificité chrétienne de son identité.  Elle offre aux étudiants la possibilité d’entamer un combat qui donne corps à la solidarité et aux valeurs positives abordées et présentées dans certains cours, notamment celui de religion.  Par la même occasion, elle ouvre une fenêtre sur le monde qui permet à l’école de n’être pas qu’un lieu clos de savoir.  Elle favorise, enfin, tant chez les étudiants que chez les professeurs, l’éclosion et l’expérience d’une spiritualité vécue dans la convivialité, qui donne d’exister dans l’école autrement que sous le seul mode de la raison et de la pensée.

Expérience humaine, citoyenne et chrétienne, profonde et de qualité, l’antenne A.C.A.T. rejoint les nombreux projets et initiatives qui font de l’école, et c’est heureux, un lieu de vie.

Jean-Claude Lemaître, professeur de religion
Responsable de l’antenne A.C.A.T.