MES ANNEES « COLLEGE » 1958 – 1964
« Mon entrée à l’Institut Saint-Michel eut lieu en septembre 1958. Je fus impressionné en rejoignant la « grande école » et, de surcroît, la classe de 6e moderne A (30 élèves) dirigée de main de fer par le Cher Frère Ménandre, titulaire à la réputation bien assise. Que de changements par rapport aux habitudes d’une petite école primaire sise à Spa où j’habitais alors. Un fait marquant fut l’éloignement de mes amis : presque tous poursuivirent leurs études à l’athénée local. Comble de malchance pour moi : le congé du jeudi après-midi restait d’actualité pour eux alors que c’était déjà le congé du mercredi après-midi qui était d’application à l’institut. Résultat : nos contacts hebdomadaires se raréfièrent puis finirent par disparaître. Une page de l’histoire de mon adolescence était tournée… »
À l’intention des étudiants du XXIe siècle (mais aussi des autres lecteurs moins jeunes!) qui prendront la peine de lire ces lignes, je me propose de décrire ou de rappeler ce qu’était une année scolaire à cette époque-là.
« La journée débutait à 08h30 par quatre heures (de 50’) de cours jusqu’à midi. Reprise à 13h40 jusque 15h20. Il y avait cours le samedi matin ce qui portait l’horaire hebdomadaire du potache à 32h/semaine (en rhéto : 9h de math., 6h de français, 4h de langues modernes…). En cas d’absence (rare) d’un professeur, c’était étude dirigée et obligatoire : pas question de perdre son temps à glander ou de mettre les voiles même si c’était la dernière heure de la journée. Ajoutons au programme la messe quotidienne en latin à 07h45 à la Chapelle Saint-Lambert située à 200 mètres de l’institut. Heureusement pour moi, cette obligation était réduite à sa plus simple expression puisque mon train arrivait vers 8 heures à Verviers-Central (en ce temps-là, les trains étaient généralement à l’heure!) ce qui me permettait de pousser la porte de la chapelle au moment où le célébrant élevait la voix pour proclamer « Ite, missa est ». Par contre, en fin de journée, mon train de retour à domicile démarrait peu avant 17 heures ce qui signifiait étude forcée jusque 16h30. Celle-ci se déroulait sous la surveillance bienveillante du Frère Michel qui, très gentiment, corrigeait mes devoirs de néerlandais me permettant ainsi de « passer de classe » sans trop de problèmes avec la langue de Vondel (néerlandais ABN!).
Quant aux congés et vacances : bien sûr « grandes vacances » en juillet et août ; deux semaines à Noël et à Pâques ; un jour de congé fin septembre (fête de Saint Michel) ; un jour à la Toussaint ; deux jours au carnaval et un jour à l’Ascension. Pas de ponts, pas de jours « blancs », pas d’excursions ou de voyages de fin d’année. J’ajoute qu’il n’y avait pas de jours d’absence non justifiée et, n’en déplaise aux politiciens et penseurs d’aujourd’hui, les absences sans raisons valables étaient signalées à l’ONAFTS (Office des allocations familiales) au moyen d’un formulaire trimestriel que devait remplir le secrétariat de l’institut. Sanction : retenue sur les allocations… cela forçait tant les étudiants que les parents à réfléchir (toucher au portefeuille a souvent un impact assez réactif selon le principe action-réaction!). Enfin, en période d’examens (trois sessions par année), pas de congé les après-midi mais des révisions en classe ou des corrigés d’épreuves.
Et ce n’était pas tout…
Nous avions des devoirs et leçons tous les jours. En rhéto., une dissertation par quinzaine à remettre le lundi matin : combien de dimanches durant lesquels je rédigeais en écoutant à la radio (arrivée sur le marché des premiers récepteurs à transistors) Luc Varenne commentant les matches de football du jour.
À partir de la troisième scientifique (4e actuelle), nous devions souscrire des abonnements aux spectacles tantôt grandioses tantôt ennuyeux du Théâtre national (je me souviens notamment de la pièce « Un homme pour toutes les saisons », vie de Thomas More), aux spectacles plus modernes des Jeunesses théâtrales (par ex.: une œuvre de Bertolt Brecht, « La résistible ascension d’Arturo Ui », sur le fascisme ; découverte des Ballets du XXe siècle de Maurice Béjart avec « Messe pour le temps présent »…), aux séances des Midis de la poésie (des comédiens récitaient des poèmes durant le temps de… midi, évidemment!). Les œuvres théâtrales étaient présentées en semaine en soirée au Grand Théâtre de Verviers (non délabré et entretenu à l’époque!). C’était aussi pour nous l’occasion de rencontrer quelques gentes demoiselles (des écoles secondaires Notre-Dame et Sainte-Claire), car pas question de mixité dans les écoles catholiques dans les années soixante. Aujourd’hui, j’avoue que j’ai « brossé » l’un ou l’autre spectacle qui ne m’intéressait guère (on les préparait au cours de français, je savais donc à quoi m’attendre) pour m’offrir une séance de cinéma au Coliséum sis dans le bas de la rue Xhavée à quelques pas du théâtre. »
« Avec un régime aussi draconien – rassurez-vous, nous avons tous survécu – les moments de détente étaient rares. Pourtant, une ou deux fois par mois le samedi matin, nous avions droit à la projection d’un film (salle des fêtes à l’étage du bâtiment au fond de la cour, photo ci-contre) qui nous permettait de souffler quelque peu. Je me souviens notamment de deux très beaux films en noir et blanc : « Briseurs de barrages » (bombardement par la RAF des barrages de la Ruhr en 1943) et « Si tous les gars du monde… » (…pouvaient se donner la main, ou la mobilisation d’un réseau de radio-amateurs pour sauver la vie de marins intoxiqués par de la nourriture avariée). Parfois, à titre personnel, je m’octroyais quelques minutes de relaxation en quittant prématurément l’étude du soir sous quelque prétexte fallacieux afin de me rendre au Grand Bazar, d’abord au rayon des livres historiques puis au rayon des disques où j’écoutais les nouveaux succès de Sheila (L’école est finie, eh oui !), de France Gall, des Beatles, des Rolling Stones et autre Procol Harum… Bien sûr, je me limitais à feuilleter les livres et à écouter la musique car mon argent de poche était plutôt réduit, ce qui limitait mes achats.
Un souvenir bien précis a marqué mes années « collège » : les grèves insurrectionnelles de décembre 1960 (j’étais en 4e moderne – 3e actuelle) contre la « loi unique » déposée par le gouvernement chrétien-libéral. Seuls le syndicat socialiste et le parti arborant la même couleur menaient une fronde active et hargneuse contre ce projet. Dès le 15 décembre (jour du mariage royal Baudouin-Fabiola), les grèves débutèrent (pour la petite histoire, elles dureront jusqu’au 22 janvier 1961 et la loi contestée sera votée sans problème au Parlement). Plus de train donc plus possible de me rendre de Spa à Verviers. Aubaine pour allonger les proches vacances de Noël ? Que nenni : pas plus d’un jour d’absence car la société privée de transport routier qui exploitait la ligne d’autobus de la vallée ne participait pas à cette grève, son patron était catalogué PSC (Parti Social Chrétien). Dès le premier jour d’arrêt des trains, on me fit savoir que les étudiants de Spa pouvaient (et devaient) emprunter gratuitement les autobus de ladite société qui nous amèneraient à destination place du Martyr, juste en face de l’institut. Deux ou trois jours plus tard, alors que nous venions de descendre du bus, quelques excités de couleur rouge vif voire vermillon brisèrent les vitres du véhicule et l’un d’entre eux de tirer un coup de feu en l’air sans doute pour effrayer les détestables péquenots que nous étions. Plus de peur que de mal et aucune suite malgré l’absence de cellule de soutien psychologique pour nous prendre en charge et nous débriefer ! Et qu’à cela ne tienne, la ligne ne fut pas interrompue pour autant. Dès le lendemain et jusqu’à la fin des mouvements sociaux, c’est accompagné d’une jeep dans laquelle avaient pris place quatre gendarmes casqués et armés de fusils que le bus a repris ses voyages sans le moindre incident, les potaches que nous étions étant aussi fiers de leur « bravoure » que de leur bravade ! C’est probablement depuis ces évènements que date ma détestation des syndicats qui s’est prolongée tout au long de ma vie professionnelle (et plus que jamais bien présente aujourd’hui, le croiriez-vous ?). »
« C’est ainsi que s’écoula ma vie scolaire durant six années qui me parurent souvent longues, monotones, pas très amusantes voire moroses…
Pourtant, en 1960, un léger (il ne fallait pas trop bousculer les habitudes!) vent nouveau souffla sur l’institut avec l’arrivée de Guy Belleflamme, professeur de français et d’histoire. En classe dite de «poésie» (5e actuelle), c’est grâce à ce professeur que j’ai commencé à apprécier la littérature française : « Le Grand Meaulnes », superbe roman d’Alain Fournier, qu’il nous avait demandé de lire a laissé chez moi une marque indélébile. Cette lecture m’était nettement plus agréable que les pièces de théâtre classique signées Racine ou Corneille (je les lisais en Classique Larousse, cela me paraissait moins ennuyeux).
Pour terminer, je m’en voudrais de ne pas rendre hommage à tous mes professeurs (je préfère ne pas les nommer de peur d’oublier l’un ou l’autre) qui donnaient certainement le meilleur d’eux-mêmes afin de nous amener à la réussite de nos études. Tout n’était pas parfait mais rien ne l’est en ce bas monde. La formation que nous recevions était solide et assez éclectique. Nous apprenions parfois des choses qui me paraissaient peu utiles mais c’était plus une question de programmes imposés que de dispositions des professeurs. Au bilan, si je regrette un certain carcan disciplinaire parfois peut-être excessif, je dois reconnaître que mes études à Saint-Michel Verviers m’ont forgé un caractère solide qui m’est venu bien à point pour affronter des difficultés comme la vie en réserve à chacun. »
Guy Legros (70 ans)
Juin 2016